Une majorité en sursis - La Lettre de La Grande Conversation de Terra Nova

5 au 9 mai

La dissolution décidée en juin dernier n’a pas seulement coûté sa majorité au Président. Elle a fragilisé son bilan, compromis son héritage et perturbé le fonctionnement de nos institutions. Certes, le Parlement continue d'examiner des projets de loi, comme sur la fin de vie ou le viol. Mais chacun perçoit que cette dynamique repose sur un équilibre instable, voué à se détériorer à mesure que 2027 approche.

L’EDITO

Une majorité en sursis

La décision présidentielle, prise à froid au soir des européennes, transforme profondément le rôle du Parlement. Les députés doivent prendre leurs responsabilités et la position du Premier ministre, responsable devant le Parlement, s’en trouve redéfini. Doutant de sa capacité à négocier un prochain budget, le Premier ministre a proposé d’en faire un sujet de référendum, bien que le Président ait d’autres sujets en tête.

François Bayrou a également relancé le débat sur le mode de scrutin des députés. Depuis longtemps favorable à la proportionnelle, il remet sur la table une réforme qui pourrait bouleverser la représentation parlementaire. Mais quel changement pourrait-on vraiment espérer du passage du système majoritaire actuel (scrutin majoritaire uninominal à deux tours) à un système proportionnel ? Pour ne pas placer des espoirs chimériques dans le changement du mode de scrutin, il faut bien comprendre ce qu’on peut attendre des différentes modalités de vote proportionnel. Pour s’y retrouver, on peut faire des projections des conséquences du changement de scrutin sur la répartition des groupes politiques à l’Assemblée nationale.

En attendant, la machine législative continue de tourner, projet par projet. Tout d’abord, la discussion sur la fin de vie, interrompue par la dissolution, a repris et pourrait prochainement déboucher sur un vote en séance. Le débat, plus précis et mieux informé, reste polarisé. Il est frappant de voir que ceux-là mêmes qui dénonçaient hier la possibilité de la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès, reconnue par la loi Claeys-Leonetti, la défendent aujourd’hui comme un modèle d’équilibre « à la française » à préserver. De fait entrée dans les usages, comment cette pratique serait-elle appelée à évoluer dans un prochain cadre législatif ?

Autre texte important : la réforme de la définition pénale du viol, visant à y inscrire explicitement la notion de consentement. Le sujet est extrêmement sensible en raison de la récente libération de la parole sur les violences sexuelles. Au regard de celle-ci, la réponse institutionnelle, en particulier celle des tribunaux, paraît toujours en retard. Mais faut-il en passer par une évolution du code pénal ? Le débat juridique croise ici des enjeux moraux, politiques et sociaux profonds, qui divisent parfois les mouvements engagés dans cette cause.

Face à une majorité introuvable, François Bayrou ne peut s’appuyer que sur un bloc central composite, formé par nécessité plus que par conviction. Déjà précaire, cet ensemble va progressivement se dissoudre. La perspective des prochaines élections présidentielles engendre déjà des calculs individuels et pèse sur la solidarité du bloc. Le « socle commun » présente en réalité peu de consistance. Au-delà des tactiques individuelles, c’est l’équilibre institutionnel, et la stabilité politique, qui sont en jeu dans les mois qui viennent.

Terra Nova, le think tank Evidences, la ville de Nancy et Res publica, se sont par ailleurs intéressés à la place de la science au sein de notre démocratie

Nous vous invitons au Forum Place(s) de la démocratie les 5, 6 et 7 juin à Nancy. Au programme : des ateliers participatifs et des tables rondes, en présence notamment d'Aurore Bergé, Agnès Buzyn, Roselyne Bachelot, Najat Vallaud-Belkacem, Gérald Bronner, Patrick Cohen, Brune Poirson, Étienne Klein et bien d'autres... Pour participer, inscrivez-vous ici.

LES ARTICLES DE LA SEMAINE

#FinDeVie
L’aide à mourir au miroir des limites du droit existant sur la sédation

Dans le débat sur la fin de vie en France, les opposants à une évolution législative sur l’aide à mourir qualifient le cadre législatif actuel de remarquable et suffisant, véritable « trésor national ». Ils évoquent notamment le cadre de la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès (SPCMD) comme soin ultime permettant selon eux de considérer toutes les situations de souffrances inapaisables en fin de vie tout en se gardant de toute intentionnalité de faire mourir. A l’inverse, les partisans d’une évolution de la loi y voient une solution insuffisante, y compris dans le cadre d’un pronostic engagé à court terme, et surtout inadaptée aux autres situations. Voir les opposants à l’aide à mourir s’emparer de cette pratique, qu’ils ont tant combattue lors de son introduction il y a quelques années, relève à tout le moins du paradoxe.

#Consentement
Intégration du consentement dans la définition pénale du viol : symbolique ou historique ?

Un intense débat, ouvert par la tentative de donner une définition unifiée du viol à l’échelle européenne, accompagne le projet d’introduire la notion de “consentement” dans la définition pénale du viol. Depuis des mois, partisans et opposants s’affrontent sur le terrain juridique et éthique, parfois au nom de convictions féministes opposées. Alors que l’Assemblée nationale a adopté une première version du texte, quelles conséquences attendre de cette évolution législative ?

#Politique
L’inéluctable disparition du socle commun

Tandis qu’Emmanuel Macron fait mine d’ignorer l’affaiblissement politique lié à l’approche de la fin de son deuxième mandat, les spéculations liées à l’élection présidentielle planent déjà sur la vie politique. La fragile majorité actuelle, commandée par les circonstances parlementaires, présente peu de consistance face au retour des ambitions personnelles. Tour d’horizon d’une érosion annoncée.

ÉVÉNEMENT

La place de la science dans le débat public cristallise aujourd’hui de fortes tensions. Face à la montée des populismes et de la désinformation, il faut renouer avec un dialogue, transparent, confiant et constructif entre chercheurs, citoyens et décideurs, et revaloriser la culture scientifique dans la société. Comment, sans confusion des rôles ni dilution des responsabilités, faire dialoguer plus étroitement sciences et politiques publiques ? Comment permettre aux scientifiques de contribuer pleinement au débat démocratique, dans un cadre ouvert et partagé ?

La Ville de Nancy et Terra Nova s’associent à nouveau pour organiser la deuxième édition du forum « Place(s) de la démocratie » : les 5, 6 et 7 juin, des rencontres, des débats et des ateliers d’expérimentation inviteront le public à explorer concrètement les conditions d’une décision politique éclairée par les savoirs.

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